29.8.11

Inconnu

Jawad Saleh Hussein, Aéroport JFK, New York City, État de New York.

Je l'ai pris à l'aéroport l'autre jour, il voulait aller à Manhattan. Je lui ai demandé où à Manhattan ? Il m'a dit à Manhattan, n'importe où. Je me suis retourné et je lui ai dit, mais c'est grand Manhattan, il y a plein d'endroits où aller. Il m'a dit, et bien allons à plein d'endroits, mais il faut que ce soit downtown. Mais Downtown ou Manhattan ? C'est pas pareil. Manhattan alors, je ne veux pas restreindre mes découvertes. Alors j'ai dit, mais je ne vais pas te transporter d'un bout à l'autre de la ville, je dois travailler moi. Tu travailleras pour moi, il m'a dit. Alors je suis parti, vers Manhattan. Encore un touriste me suis-je dit, encore un couillon de touriste. Mais lui était quand même différent. Ce n'était pas le touriste qui venait avec quatorze livres différents, tous intitulés New York, La Grande Pomme ou La Côte Est: Washington, New York et les Grands Lacs. Non. Ceux là étaient énervant, ils croyaient toujours tout mieux savoir sur la ville. Peut être à cause de mes origines, oui ils pensaient certainement que j'allais me perdre ou que je ne connaissais pas bien. C'est toujours ce que l'on croit. Mais j'ai une licence de taxi moi. Oui monsieur, j'ai dû passer un test, cocher des cases et conduire un instructeur dans la ville. C'est un métier chauffeur de taxi vous savez. Alors quand je vois ces mongols de touristes, me montrer sur leurs plans illisibles où se trouvent leur hôtel je rigole doucement, me gratte la barbe et leur demande trois fois l'adresse, lentement, pour qu'ils comprennent bien ce que je dis. D'ailleurs celui là était Français. Je dis ça parce que souvent les Français il faut tout leur répéter trois fois. Ils comprennent rien à l'anglais. Certes j'ai un accent Pakistanais prononcé, non pas Indien, ah non surement pas Indien. Peut etre pour vous c'est pareil, mais la langue est quand même différente et l'accent aussi. Bref.

Celui là était Français, mais il parlait bien, il devait sans doute voyager beaucoup. Il avait juste un sac à dos et un appareil photo en bandoulière. Je lui ai demandé ce qu'il faisait dans la vie, il m'a dit rien, il m'a dit que la vie lui faisait faire beaucoup de chose, mais lui ne faisait rien en particulier, il suivait, il surfait sur le mouvement de la vie. J'ai pas tout compris, mais je crois que c'est ce qu'il a dit. Il m'a demandé ce que je faisais, pourquoi j'étais venu ici, mais mon boss me dit toujours de ne pas raconter ces histoires, il pense que ça ne plait pas au client. Alors j'ai esquivé. Vous le direz a mon boss ? ah, il ne verra pas cet entretien. D'accord. Oui pardon. Je lui ai ensuite demandé ce que la vie lui faisait faire maintenant, il m'a répondu qu'il ne savait pas très bien, mais qu'il essayait de faire photographe. Alors j'ai pris la bretelle d'autoroute sur la droite et je suis parti vers le pont de Brooklyn en me disant qu'il devrait bien aimer faire des photos du pont à travers le "cab", que si c'était un bon photographe peut être que j'aurai une chance de devenir célèbre, moi, mon taxi et ma ville d'adoption. Mais je rêvais, sans doute, de multiples façons. Je l'ai amené sur le pont, il regardait par la fenêtre, les fenêtres, en s'agitant sur la banquète arrière, les yeux grands ouverts devant ce gigantesque pont et la vue non moins grandiose de la ville tentaculaire qu'il offrait. Pourquoi ne prends tu pas de photos ? je ne sais pas. Mais tu es photographe, tu devrais savoir ? non pas forcément. Attends je vais t'emmener à Battery Park comme ca tu prendras une photo de la statue de la liberté.

On est arrivé quelque minutes plus tard au bord du parc, tout au sud de l'île, et de là on pouvait voir la Statue. Tu veux sortir faire une photo ? Peut être. Alors vas y, je t'attends. Il est sorti. Son appareil photo à la main. Il s'est placé derrière un arbre, en a fait le tour, puis s'est accroupi. Il a porté l'appareil photo à son visage, a tourné des bagues sur l'objectif, puis a baissé l'appareil, regardé l'écran au dos, tourné une molette, appuyé sur des touches. Il a reporté le boitier à son visage, et le même cinéma a recommencé. Il a fait cela trois fois, jamais je n'ai entendu le clic singulier des appareils photos. Et je peux vous dire que j'étais proche. Très proche. Il s'est relevé, et est revenu l'air de rien vers la voiture. Il avait le visage contracté, comme si quelque chose le tracassait. Oui, voilà, il était préoccupé. Il est remonté. Alors je lui ai demandé pourquoi il n'avait pas pris de photos, et encore la même réponse, il m'a dit qu'il ne savait pas, qu'il le ciel n'était pas beau, que la statue était trop loin, qu'elle était trop commune. Il avait vu plein de photos d'elle avant. Alors je lui ai demandé ou il voulait aller maintenant, il m'a dit qu'il ne savait pas, que je pouvais l'emmener ou je voulais. Alors je suis parti vers le nord. Vers le Village, le Fer à Repasser et l'Empire State Building.

Affaire à suivre ;)